Les certificats de souche: une exception française

Fabien Liberge

L’article qui suit est paru en deux parties dans « Le Vivipares », numéro 122 de septembre 2014 et numéro 123 de décembre 2014.

certificat de souche

Quel est le nom de ce poisson ?

Obtenir et retenir le nom du nouveau spécimen que l’on acquièrt est la première des préoccupations de n’importe quel aquariophile amateur. Pour l’aider dans cette tâche, l’AFV propose et demande à ses adhérents depuis 2004, d’accompagner chaque échange d’un certificat de suivi de souche indiquant de manière lisible le nom d’espèce et de souche des spécimens transmis. Depuis 2004, chaque membre de l’AFV inscrit dans la base de suivi de l’association peut imprimer et donner les certificats de suivi de souche des poissons qu’il élève. Finies les écritures illisibles au marqueur sur les sacs détrempés, terminés les « n’oublie pas de me faire penser à te donner le nom plus tard »… Depuis 2004 les certificats AFV véhiculent une information propre, lisible et fiable. C’est une « invention » de notre association, alors cela mérite bien un petit rappel historique ainsi qu’une explication.

Cet article est donc destiné aux plus récents de nos adhérents afin de leur permettre de comprendre le fonctionnement des certificats de suivi de souche. Il s’agit également de faire un bilan, 10 ans après la mise en place du système, et de revenir sur les objectifs initiaux du projet… histoire de voir s’ils ont été atteints.

Pour comprendre ce qui nous a amenés à mettre en place les certificats de suivi de souche un petit rappel historique s’impose pour commencer.

Petit retour en arrière…

À la fin des années 90, l’AFV était une association de taille modeste, dont l’objet, les poissons vivipares, est vraiment marginal dans le paysage des loisirs français… 150 adhérents tout au plus… à peine autant de souches recensées sur la liste de maintenance des membres. Pourtant l’association est dynamique, en pleine phase d’essor. Cela est dû principalement à un petit noyau d’amateurs dont certains commencent à découvrir les vertus des voyages à l’étranger: Angleterre, Allemagne, Pays-Bas. En retour, les rencontres organisées en France commencent à attirer des visiteurs européens. Grâce à ceux-ci, grâce aux rencontres (Internet n’existait pas), le nombre de poissons disponibles, le nombre d'espèces proposées s’accroit très rapidement et de nouvelles problématiques se font jour. Comment gérer cet afflux de connaissances, de nouveaux poissons ? Comment maintenir en France toutes ces espèces ? Comment prévenir les problèmes d’hybridation… ?

La consanguinité…

À cette époque, dans les discussions entre aquariophiles, un sujet revenait fréquemment, celui de la consanguinité des souches maintenues en aquarium. Il apparaissait très important pour tout un chacun de parvenir coûte que coûte à apporter du sang neuf dans son élevage dont on redoutait le déclin à cause de la fameuse consanguinité. La principale préoccupation des aquariophiles était donc d’obtenir de nouveaux spécimens pour régénérer le sang de leurs propres poissons. Derrière cela il y avait pour certains l’espoir de voir un jour notre association participer à des programmes de sauvegarde d’espèces menacées ou même de réintroduction d’espèces disparues du milieu. Avec le recul cela peut paraitre naïf.

Alain Grioche, docteur en ichthyologie, notre principal animateur à l’époque, avait posé les bases du sujet « consanguinité » et fait le point sur les risques supposés ou réels liés à la consanguinité. Dans un article « révolutionnaire » (à mon sens) paru dans le Vivipare № 5/2003, il commença à battre en brèche toutes nos idées préconçues et remit en cause nos craintes en nous montrant comment telle ou telle institution possédait depuis des décennies dans ses aquariums des souches parfaitement viables héritées d’un seul couple de poissons.

Rapidement, dans les discussions que nous avions avec Alain il est ressorti que le danger principal que nous avions à redouter n’était pas tant celui de la consanguinité que celui de l’hybridation liée aux erreurs de croisements.

L’hybridation fortuite

La quête éperdue de sang neuf à tout prix constituait même un risque important pour nos élevages tellement limités car circonscrits à quelques éleveurs uniquement. Au nom de la lutte contre la consanguinité, les amateurs pouvaient se révéler parfois peu regardants, imprudents, prompts à apporter dans leurs élevages des spécimens à l’origine « douteuse ». Il ne faut pas se méprendre, le terme « douteux » n’a pas ici de connotation péjorative à l’excès. Il s’agit de dire que parfois, on pouvait prendre le risque d’employer comme reproducteurs, des poissons d’origine inconnue… voire même tout bonnement d’utiliser par méconnaissance des spécimens d’une autre espèce sans s’en apercevoir.

La principale cause que nous avions identifiée en face du risque d’hybridation fortuite était celle du manque d’information et aussi le problème du support de cette information. Lorsqu’un amateur ne connaissait pas le nom précis de ses poissons il y avait toujours les mêmes bonnes raisons. L’information reçue au départ était peut-être la bonne… mais ensuite, elle s’était perdue, parce que notre aquariophile n’avait pas su lire l’écriture portée sur le sac, parce qu’il n’avait pas bien entendu le nom prononcé ou simplement parce que sa mémoire lui avait joué des tours !

Comment faire alors pour qu’au sein de notre association les informations circulent de manière fiable et perdurent dans le temps ? Nous eûmes l’idée de créer un formulaire, un certificat estampillé « AFV », que les éleveurs pourraient utiliser lors de leurs échanges. Sur ce certificat serait porté le nom exact, correctement orthographié. Sauf à transmettre un mauvais certificat, la question de la perte d’information comme celle de l’information erronée étaient résolues.

Mieux encore: en demandant au destinataire du certificat de transmettre un code unique pour obtenir des certificats à son tour nous pouvions suivre les transferts de poissons entre éleveurs et centraliser ces informations au niveau de l’association… un peu comme le ferait un livre des races pour d’autres animaux (chiens, chats etc…).

Le nom complet

Cependant, transmettre uniquement un nom de genre et un nom d’espèce avec un poisson n’est pas suffisant… La classification des espèces est une invention humaine. Elle résulte de choix, d’arbitrages. Ces arbitrages ne sont pas inscrits dans le marbre. Ils évoluent au gré des découvertes et des recherches scientifiques. Les noms de genre et d’espèce ne suffisent pas à eux seuls à identifier un poisson. Il faut ajouter un lieu et une année de collecte.

En 2004 nous avons recensé les différentes souches présentes chez les adhérents et nous avons créé pour chacune d’entre elles une fiche récapitulative comportant différentes informations telles que le moyen d’entrée en France de la souche (collecteur privé, importateur, aquariophile étranger), le nombre des spécimens faisant souche ou encore des données de maintenance (température d’origine, qualité d’eau etc.). Ce premier bilan fait, nous vérifiâmes alors la pertinence des informations accolées à chaque souche et pour environ 200 souches nous pûmes attribuer ce que nous avons appelé un nom complet.

Je l’ai dit plus haut, ou du moins je l’ai laissé sous-entendre: la connaissance des espèces vivipares était sommaire, disons « limitée », à la fin des années 90. Comme référence nous disposions de peu de photographies. Il y avait celles d’un ouvrage en allemand édité dans le milieu des années 80. Aucun parmi nous ne maitrisait l’allemand. Quand ce livre est arrivé dans notre petit groupe il était par ailleurs déjà largement dépassé… beaucoup de nouvelles espèces avaient été décrites depuis sa parution car les amateurs allemands, anglais ou hollandais collectaient chaque année de nouvelles espèces en de nouveaux endroits.

Nous avions également un atlas américain édité au début des années 90 mais seuls deux ou trois exemplaires étaient parvenus jusqu’en France !

Nous découvrîmes cependant l’incroyable diversité naturelle. Ce n’était pas une seule souche de guppy sauvage, pas une seule variété de platy, pas un unique Characodon lateralis qu’il fallait recenser mais plutôt 10, 20 ou 30. Chacune avait sa spécificité et les connaissances progressant nous nous rendîmes comptes de nos lacunes. Très modestement… nous avions d’importantes lacunes. Par exemple, la couverture de la revue n°5/1996 fut identifiée comme Zoogoneticus quitzeonensis alors qu’il s’agissait d’une nouvelle espèce, non décrite à ce moment-là (et qui le sera plus tard comme Z. tequila), parvenue jusqu’à nous par le biais des réseaux commerciaux.

De nos erreurs, nous avons compris que les seuls noms de genre et d’espèce n’étaient pas suffisants pour formellement identifier un poisson. Plus que cela, les noms de genre et d’espèce étaient susceptibles d’être faux ou pouvaient changer au cours du temps. La seule donnée inamovible quand on lui accole une date c’est celle du lieu de collecte. Pour nous c’était donc clair: désormais, un nom de souche devait impérativement comporter les éléments suivants:

l’ensemble formant « le nom complet ».

Dans le grand bain !

En janvier 2004 les premiers modèles de certificats étaient prêts et, lors de l’assemblée générale, juste avant un apéritif amical, nous avons lancé le projet « Certificats AFV » et nous lui avons fixé les objectifs suivants:

Le premier accueil des participants a été largement favorable. Il a fallu bien sûr dispenser quelques explications quant à son fonctionnement mais le projet était lancé, les premiers certificats furent distribués aux copains présents. Quelques semaines plus tard les premiers exemplaires étaient même distribués en Allemagne, en Hollande et rapidement les retours que nous avions disaient: « mais pourquoi n’avons nous pas pensé à faire de même ? ». C’était tout à fait encourageant et prometteur…

Prendre part au système: éditer et transmettre à son tour des certificats

Lorsque l’on reçoit un certificat il suffit simplement de transmettre le code qui figure sur le certificat auprès du responsable du suivi (à l’époque Alain Grioche, en 2018 Robert Mambourg et Philippe Beaucousin) pour obtenir en retour un certificat à son nom.

C’est ce nouveau certificat, personnel, qui devra alors être transmis par l’éleveur. En donnant un certificat AFV il ne s’agit plus simplement de donner des poissons mais aussi de s’engager soi-même et indiquer vouloir participer à un travail collectif, associatif. Ce doit être un gage de bonne foi. En donnant un certificat avec ses poissons l’éleveur dit:

Les objectifs ont-ils été atteints? Quel bilan ?

Sur le fait de certifier la véracité des informations

Au moment de lancer le projet « Certificat de suivi de souche » nous avions avec Alain quelques exemples particulièrement sévères de transmission orales ou même écrites, erronées. Rien n’est plus faillible que la mémoire (et surtout celle des autres bien sûr). Nous avions au sein de l’association des souches identiques diffusées sous plusieurs noms différents et parfois de manière comique… Avec le temps, la souche de Chapalichthys pardalis originaire du parc de Tocumbo semblait être arrivée du Rio Tocumbo qui n’existait pas… pas plus que le Rio Tacambo ou encore le Rio Tocambo comme on pouvait le lire ici ou là ! Les Ilyodons n’arrivaient plus du Rio Terrero mais parfois du Rio Terro ou Terreno… Bref, les exemples étaient nombreux et les erreurs communes liées aux écritures mal faites au marqueur sur des sacs humides ou simplement liées aux erreurs d’interprétations, notamment lors d’échanges internationaux.

Nous avons ainsi longtemps diffusé au sein de l’association une souche de Xiphophorus nezahualcoyotl (notez comme ce nom est facile à retenir, surtout pour un néophyte) avec le nom de souche « levenbarren » sans savoir quel lieu pouvait bien désigner « levenbarren » jusqu’à ce que l’on comprenne avec l’aide d’un adhérent belge parlant un peu le hollandais que « levenbarren » était l’onomatopée de « Levendbaren » qui signifie « vivipare » lorsque prononcé en flamand dans une bourse aux Killis… !!!

Avoir un document écrit, correctement orthographié, préparé à l’avance, transmis avec les poissons au moment de l’échange est un moyen d’éviter ce genre d’erreurs. Enfin, on laisse une trace grâce au papier et cela de manière beaucoup plus efficace que la mémoire.

De ce point de vue donc, on peut dire que le contrat a été rempli. Lorsqu’ils sont transmis (avec les bons poissons !) les certificats jouent parfaitement leur rôle.

Sur le fait de partager de l’information

Chaque souche identifiée, reconnue, fait l’objet d’une fiche descriptive sur laquelle on porte tous les éléments intéressant l’aquariophile: qualité d’eau, nombre des spécimens fondateurs etc. Chaque certificat retourné à l’association fait l’objet d’une inscription sur la fiche de souche lorsque les données existent sur l’origine des poissons. Initialement ces fiches devaient être mises à disposition de chaque membre. Cet objectif a rencontré un écueil: la transmission de copies papier engage des frais (en photocopies et timbres). Après avoir pris personnellement en charge ces frais lorsque notre petit groupe d’éleveurs comptait 10 ou 15 personnes il a bien fallu jeter l’éponge lorsque le processus s’est enclenché auprès d’un plus grand nombre d’amateurs. Le coût n’était plus supportable, surtout pas par l’association. Aujourd’hui le développement des moyens techniques permettrait de poser l’ensemble sur une base d’échange électronique (un site internet, un forum ou autre). Il manque un volontaire pour en assurer la maintenance et le suivi et pour l’instant les fiches de souches restent cantonnées dans l’ordinateur du responsable.

Sur le fait de prévenir l’hybridation

Avec le recul, c’est probablement cet objectif qui a été le mieux rempli. Dès la mise en place des certificats de suivi de souche, le fait de recevoir un morceau de papier identifiant les spécimens transmis à introduit cette notion de « souche unique » ne devant pas être mélangée avec une autre… même ressemblante. Dans les faits, nos craintes initiales étaient peut-être trop importantes. Les cas d’hybridation fortuits et décelés sont finalement assez rares. Les souches disparaissent du milieu aquariophile avant que leur diffusion ne soit importante.

Sur le fait d’apporter une plus-value qualitative

Le meilleur témoin de cet objectif est l’intérêt porté par les nouveaux adhérents aux certificats. Malheureusement, cela s’étiole avec le temps et les adhérents plus expérimentés sont moins demandeurs… à moins simplement qu’ils échangent moins de poissons en perdant l’enthousiasme du début. Dans un seul cas nous avons choisi de mettre en avant une souche au dépend des autres: pour les endlers originaires de la « Laguna de los patos » (voir plus loin).

Quelques écueils !

Fort de notre enthousiasme nous avons probablement sous-estimé les résistances au changement qui pouvaient s’exercer même dans une petite association comme la notre. Les premiers certificats étaient manuscrits. Les éleveurs devaient écrire/recopier lisiblement les noms des poissons. Ce fut une corvée pour nombre de personne qui ont continué à mal orthographier les noms des poissons comme celui des souches. Certains n’ont pas même tenté de transmettre des certificats continuant à diffuser de l’information orale. Il est vrai que dans la cohue de certaines bourses aquariophiles il n’y a pas beaucoup de place ni de temps pour l’écriture ! Le chaland n’attend pas ! Une amélioration significative fut apportée au système en 2010 par Alain Grioche. Il transforma le système en gérant l’édition des certificats via une base informatique ACESS. Dès lors plus de problème de report de donnée ! Plus de problème d’écriture mal faite ou d’information mal reportée. Il suffit uniquement à l’éleveur d’imprimer les certificats qui portent son n°d’adhérent et de les distribuer avec ses poissons. C’est très facile… même si cela ne règle pas tout les problèmes.

Les certificats ne règlent pas tout !

En tout cas ils ne dispensent pas l’amateur d’exercer son esprit critique et à ce propos je dois vous raconter deux exemples symptomatiques qui me viennent à l’esprit. Dans un bourse près de chez moi, un aquariophile arborait ostensiblement sur son bac le certificat que je lui avais moi-même donné l’année précédente. J’ai dû blêmir en voyant le contenu du bac. Aucun des poissons ne ressemblait en effet à ceux que je lui avais transmis. Ils étaient très clairement hybridés et le coupable de cette hybridation n’était pas difficile à identifier… il nageait dans le même aquarium ! Cet aquariophile n’avait pas envisagé un instant que ces deux espèces pouvaient s’hybrider et il n’avait pas su déceler la différence pourtant manifeste avec les poissons de départ.

Deuxième exemple. Dans cette même bourse, c’est un autre éleveur qui présente à la vente lui aussi des poissons « certifiés »… mais là aussi, quelle horreur ! La moitié des spécimens présentent des colonnes vertébrales raccourcies ou tordues ! Il manque des arêtes à ses poissons mais ça ne choque pas notre ami qui cherche justement à se débarrasser de ces poissons pas vraiment jolis… et de son point de vue les certificats vont bien l’aider ! ne garantissent-ils pas la qualité de ses poissons ??? Je comprends que l’enfer est décidément pavé de bonnes intentions…

Le cas particulier du bleu du Rorota

En 2007 nous avons attribué un nom de souche à une population de guppys (bleus) rapportée d’un lac de Guyane par un adhérent de l’AFV. Ce fut une erreur. Je ne trouve pas qu’il était injustifié d’attribuer un nom de souche et un certificat à ces poissons mais ce cas particulier a soulevé trop d’incompréhension chez beaucoup de membres et généré trop de discussions inutiles sur le forum, perturbant le message qui devait être délivré avec les certificats de suivi de souche. Effectuer un suivi de souche peut se faire même pour des formes de sélection pourvu qu’on ait déterminé les caractéristiques à maintenir. Cela n’a pas été compris par certains qui voulaient absolument que ce soit restreint aux formes sauvages. Nous aurions pu nous épargner ces discussions.

Un bien pour un mal… à moins que ce ne soit le contraire : le cas des endlers de la laguna de los Patos

Quelle chance ! En 2004, lors de la mise en place des certificats, parvient en France lors du congrès qui se tient à Amboise une souche d’endlers dont l’origine est connue. Les poissons sont très beaux, et caractéristiques de ce que, à l’époque, on appelle l’endler. Ils possèdent de superbes couleurs métalliques jaunes et vertes, du rouge bien rouge et la fameuse virgule noire caractéristique. Rien à voir avec les souches qui circulent alors en France et qui ont toutes été mélangées avec du guppy, les éleveurs croyant à tort que les hybrides qui naitraient d’éventuels croisement avec le guppy seraient stériles… Quelle erreur ! En quelques mois, tous les endlers au sein de l’AFV ressemblaient à des guppys de sélection. Les certificats tombèrent à point nommé: en ne certifiant que la souche de « Los Patos » nous avons bien volontairement mis l’accent sur cette seule souche et incité les éleveurs à ne plus multiplier que celle-ci… Mais en faisant cela, peut-être avons-nous introduit à l’excès l’idée que les souches suivies possédaient une plus value… et la plus value, ça intéresse toujours, forcément.

L’arrivée des premiers wingeis

Le succès de ce petit poisson, le Poecilia wingei, ne se dément pas. Il a immédiatement rangé son cousin « l’endler » au rayon des souvenirs. Mais il a apporté une nouvelle problématique et montré à nouveau combien nos connaissances pouvaient parfois être limitées. Des pages entières ont été consacrées au cas de cette espèce sur notre forum et il serait vain de résumer ici tout ce qui fut dit mais je considère aujourd’hui que les certificats de suivi de souche ne se prêtent pas à ce poisson pour lequel la variabilité semble infinie tandis que la sélection apparait tellement facile… en plus d’être tentante ! Nos installations d’amateurs ne se prêtent pas aisément au maintien des souches de wingei dans leur « état naturel ». D’ailleurs, encore faudrait-il être certain de connaitre l’état naturel des populations de cette espèce.

Discussion

Le nom complet est une contrainte !

Quand on a admis l’idée de nom complet et qu’on n’a pas totalement oublié ses anciennes craintes liées à la consanguinité on comprend rapidement comment ce concept rend immédiatement plus complexe les échanges entres aquariophiles. Le nom complet interdit en effet les croisements entre souches différentes… Et une souche devient différente d’une autre dès lors qu’un seul de ses éléments est différent. Alors comment traiter le cas des collectes successives dans un même endroits ? Si on mélange deux lots d’une même espèce (supposée tout du moins) mais collectés à deux moments différents on perd forcément un des éléments fondateurs. Des poissons collectés en 2012 ne peuvent porter un certificat mentionnant « 2006 ». Dans les discussions qui ont eu lieu sur notre forum le sujet de la pertinence de la date comme information et donnée à part entière du nom complet est revenu plusieurs fois. Pourquoi ne pas mélanger en aquarium des poissons collectés au même endroit à deux ans (ou trois ans ou plus…) d’intervalles ? Où se situe la limite ? faut-il accoler les deux années et multiplier ainsi les souches ? Est-ce que cela à un sens ? En 2005, à Amsterdam lors du colloque aquariophile organisé par Poecilia Nederlands (PNL) nous avions assisté avec Alain à la conférence de Manfred Meyer… l’auteur du fameux livre allemand qui faisait référence dans les années 80. Il expliquait dans son exposé les mécanismes naturels d’hybridation ou de non-hybridation et, parmi les causes d’hybridations avérées certaines étaient bien sûr liées aux activités humaines. Deux espèces différentes de Xiphophorus peuvent être génétiquement proches et s’hybrider en aquarium très facilement. Cela n’a pas d’incidence dans le milieu naturel quand ces deux espèces sont séparées par des barrières physiques telles que des montagnes, des barrages naturels etc… Mais lorsque l’homme par son action modifie le plan d’un cours d’eau, son débit ou lorsqu’il crée des liens entre des zones isolées les choses évoluent très rapidement. L’exemple cité alors était celui du très fameux Limia nigrofasciata, un vivipare très commun en aquarium connu dans le seul lac de Miragoane en Haïti. Dans ce lac les L. nigrofasciata cohabitent avec leurs cousins les Limias melanogaster, sans se croiser, sans s’hybrider, chacun possédant son espace de vie. En aquarium, les Limia sont particulièrement interfécondables. Ils donnent des hybrides très variés ressemblant parfois à un mix des deux parents et sont d’autres fois difficilement différentiables de leurs ascendants.

En 2000 (date prise au hasard pour le besoin de la démonstration) les nigrofasciata du lac Miragoane étaient parfaitement typiques et connus. Comment sont-ils aujourd’hui ? Comment ont-ils absorbé l’arrivée des autres espèces de Limia dont les populations se sont déplacées après l’introduction des Tilapia dans le lac ? Les Tilapia ont bousculé des équilibres qui permettaient à deux espèces proches de ne jamais se croiser. Les Limia nigrofasciata types sont-ils donc ceux conservés en aquarium avant 2000 ? Sont-ils ceux désormais présents dans le lac et probablement métissés avec d’autres espèces ? Dans tous les cas, à 10 ans d’intervalle, deux collectes supposées d’un même poisson ne peuvent être identifiées de la même manière ni rassemblées dans un même aquarium sous un même nom complet.

Le cas des bleus du Rorota, celui des wingeis, des endlers… tous ces exemples et toutes les discussions qui ont suivi sur notre forum m’amènent à considérer que le suivi des souches au sein de l’AFV devrait se restreindre aux seules espèces dont l’entière variabilité est connue et suffisamment limitée pour être maintenue par un aquariophile amateur. De mon point de vue, cela ne s’applique donc guère qu’aux Goodeidae et à quelques Poecilidae en excluant probablement toutes les espèces couramment commercialisées (Xiphorus helleri, Xiphophorus maculatus, Poecilia reticulata) qui ont été largement distribuées par l’homme dans des espaces dont elles ne sont pas originaires ou qui ont été largement sélectionnées. Nous devons revoir nos objectifs pour nous focaliser sur le suivi des espèces peu diffusées.

Le point aujourd’hui

Sommes-nous trop peu disciplinés ? Sommes nous incapables de nous intégrer durablement dans une action collective ? Le nombre d’éleveurs utilisant aujourd’hui les certificats se réduit dangereusement pour la pérennité même du système. Nous recevons beaucoup trop de demandes de personnes, des nouveaux adhérents principalement, qui indiquent avoir reçus des poissons mais pas le certificat associé… Il y a toujours une bonne raison à cela. Leur contact les avait oubliés, il n’en avait plus ou plus simplement il a dit: « Contacte Alain et dis lui que tu viens de ma part ! », ça ne peut pas marcher comme cela. Il faut un minimum de rigueur et chacun doit accomplir sa part. Je suis inquiet, et pas seulement pour l’avenir de cette expérience « certificat de suivi de souche». Nous sommes peut-être en train de démontrer notre incapacité collective à maintenir durablement des espèces en captivité. Il nous faut un nouveau moteur, un nouveau responsable centralisateur. Après plus de 20 ans passés à animer la partie « formes naturelles » de notre association, Alain Grioche aspire fort naturellement à d’autres activités et cherche son remplaçant. Le centralisateur des certificats joue un rôle essentiel. Il est le destinataire de tous les certificats. Il sait, il voit quels sont les principaux échanges. En clair, il « sent » les effets de modes, il connait le « marché ». Il est aussi capable d’orienter les éleveurs volontaires sur les souches qui sont en désuétudes et qui mériteraient un effort de diffusion avant quelles ne disparaissent des listes de maintenance. Sans un membre fortement impliqué sur le sujet, le projet « certificat de suivi de souche », cette exception française créée par l’AFV ne pourra perdurer…