La consanguinité
Alain Grioche
La consanguinité fait partie des vieux mythes de l’aquariophile : le phénomène invisible qui sournoisement va « pourrir » la prochaine génération de vos poissons !
Faut-il vraiment en avoir peur ?
Souvent la consanguinité crée une terreur chez les aquariophiles qui cherchent à tout prix à renouveler le sang de leur souche le plus souvent possible. D’autres vous diront qu’il faut un minimum de X poissons pour débuter un élevage (on parle souvent de 30 individus)… En théorie le X est variable en fonction de la consanguinité déjà présente au sein des poissons et de la façon dont vous allez les reproduire : si ce sont des frères et sœurs il en faudra bien plus que 30 et en théorie il faudrait avoir autant de mâles que de femelles et les faire tous participer également à la reproduction ! En pratique le X sera surtout dépendant du nombre de poissons qu’on voudra bien vous donner… Et souvent cela se résumera à un seul couple ou trio ! Surtout pour certaines espèces peu prolifiques et très rares !
Mais qu’est ce que la consanguinité ?
Il s’agit de la réduction du nombre (ou de la perte) de gènes aux fur et à mesure des générations. Cette perte peut-être voulue : pour sélectionner des guppies de concours tous identiques il faut forcément augmenter leur consanguinité et donc éliminer les « pas grands », les « pas colorés » ou les « petites nageoires ». Ces caractéristiques, si elles ne sont pas très valorisantes pour le poissons, n’en sont pas moins naturelles… Nous sommes tous des « pas grands » ou des « pas colorés » ou des « petits quelque chose ! ». Une forte consanguinité est donc l’unique responsable de poissons champions, plus grands, plus beaux, plus forts. Il faut bien comprendre qu’elle n’est pas obligatoirement synonyme de rachitisme et de malformations. La consanguinité permet l’établissement de souches avec des caractéristiques fixées. Il est intéressant ensuite, si l’on veut introduire dans cette souche d’autres caractéristiques qui lui manquent, de procéder à une retrempe, à savoir de trouver un reproducteur d’une autre souche bien distincte (mais avec une consanguinité forte à l’intérieur de cette souche) et chez laquelle ces caractéristiques qui manquent à la première sont bien fixées.
La consanguinité c’est aussi une perte involontaire de gènes car tous les poissons de votre souche ne participent pas à l’élaboration de la génération suivante. Souvent les premières pontes sont choyées puis les suivantes grandissent comme elles peuvent dans le bac des parents. Souvent un seul mâle, le dominant du bac, a accès à la reproduction. Les poissons qui se reproduisent en premier ont donc plus de chances de transmettre leur patrimoine. C’est au cours de ces reproductions, non réellement aléatoires, que des gènes importants et bénéfiques peuvent disparaître au profit de gènes mutés, moins efficaces ou carrément déficients.
Il faut savoir que la consanguinité ne surgit pas d’un coup dans une souche, elle augmente à chaque génération, c’est inéluctable. Mais elle n’est pas obligatoirement synonyme de malformations et si malformations il y a, elles apparaîtront progressivement. Il apparaît d’abord un ou deux poissons tordus… puis cinq ou six… puis tous ! C’est avant le « tous » qu’il faut réagir. Ne faites pas de sentiments, il faut écarter de toute possibilité de reproduction les poissons déviants, même légèrement. Un rayon tordu, une coloration étrange, des vertèbres manquantes, une nage atypique, une faible fécondité – le poisson doit être écarté des autres membres de son espèce sinon supprimé.
C’est votre travail d’éleveur d’observer attentivement vos poissons et d’effectuer une sélection. Même pour une souche de poissons sauvages la sélection, aussi minime soit-elle, est obligatoire. Malheureusement, la personne qui sélectionne par consanguinité ses animaux reproducteurs n’est pas, loin s’en faut, aussi rigoureuse que la nature par rapport aux animaux qu’il aura produit. Il s’acharnera à essayer de faire vivre et reproduire les sujets porteurs de tares génétiques importantes allant ainsi droit vers l’impasse et la catastrophe.
On pourrait citer de nombreux exemples stupéfiants :
- cet aquariophile britannique qui à reproduit des gambusia pendant plus de 20 générations successives à partir d’un seul couple, frère et sœur d’origine ;
- les souches de xiphos et platys du « Xiphophorus genetic stock center » qui sont pour certaines en aquarium depuis 1930 et ont connu entre 50 et 80 générations successives ;
- ou encore plus extraordinaire : une souche de guppys maintenue en laboratoire depuis 1918, soit plus de 180 générations sans aucun apport de sang neuf !
Évidemment ceci ne doit pas être une excuse ou une justification pour ne jamais renouveler le sang de vos souches. La consanguinité, si elle peut ne pas avoir obligatoirement d’effet visibles sur vos poissons, a au moins des effets invisibles. Vos poissons au fil des générations ce sont adaptés à votre eau, à votre nourriture, à votre température et ils se sont déshabitués des maladies qui les persécutaient en milieu naturel. Au final ils ne pourront plus s’habituer à d’autres conditions. Si vous les donnez à un autre éleveur, vos poissons décéderont sans raisons alors que chez vous ils prospèrent. Et si vous changez de source d’alimentation ou d’eau, par exemple, vous risquerez de les perdre tous. La consanguinité, si elle n’est pas synonyme de dégénérescence, est synonyme d’insécurité.
Il ne faut donc pas avoir peur de la consanguinité, il faut savoir faire avec. Il faut trouver le juste milieu entre une hyper-selection de poissons extrêmement consanguins et une rechercher désespérée et chronique de sang neuf !
Pour conclure je rappellerai les deux méthodes de sélection :
- Pour les poissons de concours une sélection par le haut : je ne garde pour la reproduction que les poissons les plus beaux. La reproduction s’effectue par couples ou trios auparavant soigneusement observés et choisis. Seuls les meilleurs participeront à l’élaboration de la génération suivante.
- Pour les poissons de type sauvage une sélection par le bas : j’écarte de la reproduction les poissons hors norme. La reproduction s’effectue en groupe et seuls les uoissons présentant des anomalies seront écartés du groupe de reproduction, ce qui nécessite une observation au moins aussi attentive que pour les poissons de concours. On essaiera de favoriser au maximum la participation de chaque individu dans l’élaboration de la génération suivante, à savoir que tous les mâles aient accès aux femelles et que quelques petits de chaque femelles soient conservés pour la future génération.
En théorie seuls des poissons sauvages ne sont pas consanguins… Et encore, les études en milieu naturel montrent que souvent ceci n’est pas vrai car les populations ont toujours une taille limitée !